La Poésie

François-André Vincent, La Poésie, 1811.

La Poésie est sans doute le genre littéraire le plus difficile à cerner, à définir :

Le roman est un récit, il raconte sur un temps assez long ce qui arrive à un ou plusieurs personnages ;

Le théâtre est un spectacle ;

L’argumentation regroupe les textes qui veulent persuader ou convaincre le lecteur…

mais la Poésie ?

La Poésie vise au Beau, à la fusion de la forme et du sens, à l’expression parfaite.

Mais le roman, par exemple, poursuit souvent les mêmes objectifs. La recherche du son parfait, du rythme, de la mélodie… Flaubert, Proust sont-ils alors des poètes ?

Difficile à définir d’autant plus que Poésie est un mot qui se diffuse dans le langage d’une façon plus ou moins abusive. On trouve de la poésie dans les romans, on en trouve aussi dans le théâtre (et pas seulement dans les alexandrins de Racine) on peut en trouver dans certains gestes du quotidien…C’est ce qu’écrit Céline à propos de Sophie dans Voyage au bout de la nuit :

« Et chaque fois qu’elle effectuait ces si simples gestes, nous en éprouvions surprise et joie. Nous effectuions comme des progrès de poésie rien qu’à l’admirer d’être tellement belle et tellement plus inconsciente que nous »

On peut ajouter une autre difficulté : la définition « formelle » de la Poésie est également complexe : certes on pense aux rimes, aux formes fixes, aux sonnets, aux alexandrins… mais le vers libre, le poème en prose, les innovations incessantes et le fait que l’art, la littérature, la poésie se construisent aussi contre ce qui précède ne facilitent pas la tâche. La Poésie se définit dans sa forme comme dans son propos par une liberté absolue.

Pour qu’il y ait Poésie, il faut qu’il y ait un poète.

Le terme poète a été formé à partir d’une racine grecque (poieïen qui signifie « faire, créer »)

Les origines

En Grèce, le poète (Aède ou chanteur) est un artiste qui reçoit l’inspiration et chante les exploits des dieux (ou des héros (demi dieux)) en s’accompagnant d’une lyre.

Le poète latin est l’interprète des dieux; c’est un être « élu », « désigné » qui se distingue ainsi du commun des mortels mais reste profondément humain, avec toutes ses faiblesses.

La figure mythique qui incarne le mieux cette double nature est Orphée.

La puissance d’Orphée est immense : Avec la lyre offerte par Apollon et l’aide des muses, il devient capable de charmer les animaux, les arbres, les rochers. Le serpent gardien de la toison d’or, mais aussi Charon, Cerbère et même Hadès seront sous son charme lui permettant de récupérer Eurydice.

Mais Orphée est humain… et trop impatient de contempler Eurydice.

 Un être à part

Le poète est donc un humain avec ses faiblesses, ses douleurs mais aussi l’interprète du sacré. Il a le pouvoir que donnent la musique et les mots. Le poète est un enchanteur, un relais…un être sensible.

Sensible : c’est à la fois être plus fort (ressentir plus fort, mieux que les autres la beauté ou les malheurs) et plus faible, plus exposé… plus sensible.

Poèmes de Saint- Amant

(Marc-Antoine Girard de Saint-Amant)

Marc-Antoine Girard de SAINT-AMANT
1594 – 1661

1 « L’hiver des Alpes » (p.350 de votre manuel)

Ces atomes de feu qui sur la neige brillent,
Ces étincelles d’or, d’azur et de cristal
Dont l’hiver, au soleil, d’un lustre oriental
Pare ses cheveux blancs que les vents éparpillent ;

Ce beau coton du ciel, de quoi les monts s’habillent,
Ce pavé transparent fait du second métal1,
Et cet air net et sain, propre à l’esprit vital,
Sont si doux à mes yeux que d’aise ils en pétillent.

Cette saison me plaît, j’en aime la froideur ;
Sa robe d’innocence et de pure candeur
Couvre en quelque façon les crimes de la terre.

Aussi l’Olympien la voit d’un front humain ;
Sa colère l’épargne, et jamais le tonnerre
Pour désoler ses jours ne partit de sa main.

1L’argent (l’or, l’argent, le mercure, le plomb, l’étain, le fer et le cuivre sont les sept métaux purs connus des alchimistes).

2 « Sonnet inachevé »

Fagoté plaisamment comme un vrai Simonnet,
Pied chaussé, l’autre nu, main au nez, l’autre en poche,
J’arpente un vieux grenier, portant sur ma caboche
Un coffin de Hollande en guise de bonnet.

Là, faisant quelquefois le saut du sansonnet
Et dandinant du cul comme un sonneur de cloche,
Je m’égueule de rire, écrivant d’une broche
En mots de Pathelin ce grotesque sonnet.

Mes esprits, à cheval sur ces coquecigrues,
Ainsi que papillons s’envolent dans les nues,
Y cherchant quelque fin qu’on ne puisse trouver.

Nargue ! C’est trop rêver, c’est trop ronger ses ongles
Si quelqu’un sait la rime, il peut bien l’achever.

3 « Sonnet sur des mots qui n’ont point de rime »

Phylis1, je ne suis plus des rimeurs de ce siècle
Qui font pour un sonnet dix jours de cul de plomb
Et qui sont obligés d’en venir aux noms propres
Quand il leur faut rimer ou sur coiffe ou sur poil.

Je n’affecte jamais rime riche ni pauvre
De peur d’être contraint de suer comme un porc,
Et hais plus que la mort ceux dont l’âme est si faible
Que d’exercer un art qui fait qu’on meurt de froid.

Si je fais jamais vers, qu’on m’arrache les ongles,
Qu’on me traîne au gibet, que j’épouse une vieille,
Qu’au plus fort de l’été je languisse de soif,

Que tous les mardi-gras me soient autant de jeûnes,
Que je ne goûte vin non plus que fait le Turc,
Et qu’au fond de la mer on fasse mon sépulcre.

1Phylis (ou Philis) est une des héroïnes de L’Astrée et ce nom est devenu celui de la femme aimée, elle représente l’égérie de la poésie amoureuse précieuse. (Voir le sonnet de Voiture évoqué dans Cyrano de Bergerac)